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Ce bout de territoire resserré entre la cordillère des Andes et l’océan Pacifique, que le peuple Aymara baptisa autrefois « Chile » (signifiant « le pays où la terre se perd dans la mer »), regorge de lieux insolites et surprend par ses nombreux contrastes. Etiré sur près de 4300 kilomètres entre les 12ème et 55ème parallèles, le Chili n’atteint jamais les 400 kilomètres de largeur entre sa frontière orientale et la côte. Du sud au nord, ce pays déroule une variété étonnante de paysages et de climats, chacune des régions regorgeant de trésors naturels et culturels. Tout au sud, la terre y est sauvage et hostile et pourtant ce bout de terre déploie des paysages de toute beauté: des glaciers, des pics acérés, des lacs d’un bleu turquoise, nuit, marine… Bienvenus dans le Parc National de Torres del Paine qui attire chaque année des milliers de randonneurs en quête de grands espaces et d’aventure. Considéré comme l’un des plus beaux parcs naturels d’Amérique du Sud, cet écrin de nature dans le grand Sud chilien, allie glaciers et lacs andins, forêts et steppe de Patagonie… pas étonnant qu’il soit visité chaque année par plus de 100 000 personnes. C’est un territoire des extrêmes qui a de quoi ravir tous les amoureux de nature sauvage !

Fjord Última Esperanza

Puerto Natales, petit port de pêche situé au bord du canal Señoret, entre le fjord Última Esperanza et la Cordillère des Andes, est le point de départ des treks et excursions vers les glaciers Balmaceda et Serrano (par bateau) mais surtout une porte d’accès au Parc National de Torres del Paine. Capitale de la province de Última Esperanza en Terre de Feu, cette petite ville possède un charme désuet avec ses maisons colorées. Elle connut son âge d’or à l’époque des grandes estancias et avant l’ouverture du canal de Panama en 1914, lorsque les bateaux croisant vers le Pacifique ou l’Atlantique y faisaient escale. Peu de visiteurs prennent le temps de déambuler dans les rues de cette petite ville car il faut prendre la route en direction du parc… L’asphalte cède rapidement sa place à une piste caillouteuse… Si Puerto Natales est la ville la plus proche de l’entrée principale (Sarmiento), il y a quand même plus de 100 kilomètres de route non goudronnée à faire ! Devant nos yeux se déploie un somptueux décor, où se succèdent tour à tour de paisibles paysages verdoyants, des sommets saupoudrés de neige, et des lacs au reflets azurés… et puis au bout de cette piste caillouteuse, à travers les nuages qui se déchirent, on commence à voir apparaître les premiers pics du massif du Paine. Le mot « paine » signifie « bleu » dans le langage des Aónikenk (les indiens Tehuelche). Ce groupe de nomades de très grande taille vivait dans le sud de la Patagonie, entre la rivière Santa Cruz et le détroit de Magellan. Les premiers explorateurs européens (dont Antonio Pigafetta, chroniqueur du voyage de Magellan en 1520) à les avoir vus les ont baptisés « patagones » et ont forgé la légende des géants de la Patagonie.

Parc Torres del Paine

Vaste de 181 000 hectares (d’une longueur de 100 kilomètres sur 70 kilomètres de large), le Parc Torres del Paine fût créé en 1959 et déclaré réserve de la biosphère en 1978 par l’UNESCO. Le parc doit son nom aux trois pics granitiques, les « Torres » (tours) dont la plus haute (Torre Sur) culmine à 2860 mètres d’altitude. Le massif du Paine est petit mais d’une très grande beauté: des formes spectaculaires, des arêtes vives, des couleurs de roche différentes, des murs en surplomb, font de ce groupe montagneux l’un des plus étonnants au monde ! Le Monte Almirante Nieto au centre de la photo n’a d’autre choix que de se faire discret car il est entouré des fameuses Cuernos del Paine (sur sa gauche) et des célèbres Torres del Paine. Il passe un peu inaperçu aux yeux des « spectateurs » du parc… Pourtant cet imposant sommet, nommé en mémoire d’Ascencio Brunel, un légendaire bandit de Patagonie, culmine à 2640 mètres d’altitude. C’est aussi le sommet le plus escaladé car son ascension est moins difficile que celle de ses proches voisins même si certains des flancs de l’Almirante Nieto restent toujours vierges ! Les sommets des Cuernos del Paine sont presque visibles en permanence où que l’on se trouve dans le parc. Ces trois sommets sont facilement repérables de par leur couleur et leur forme: ils ressemblent à des cornes d’où le nom « Cuernos » (cornes) et le haut est constitué d’une couche sédimentaire noire alors que la roche en-dessous est plus claire. Le Cuerno Principal s’élève à une altitude de 2600 mètres tandis que le Cuerno Norte se trouve à 2200 mètres et enfin le Cuerno Este à 2000 mètres. Bien que le massif du Paine soit magnifique, le mauvais temps qui règne et l’instabilité des glaciers freinent le désir d’ascension… Et pour ceux qui n’ont pas su se refreiner, beaucoup y ont perdu la vie.

Torres del Paine: Lago Pehoé avec ses eaux turquoises

Les nombreux lacs du parc prennent une couleur turquoise, émeraude ou laiteuse selon leur profondeur et leur composition mais aussi en fonction de la météo. Plusieurs lacs sont en fait des lagunes salées. C’est le cas du Lago Sarmiento au regard de la chimie de son eau. Ce lac, d’une superficie de 90 km2, a été nommé en l’honneur de l’explorateur, humaniste et historien Pedro Sarmiento de Gamboa (1532-1592). A moins de deux kilomètres de la rive nord-ouest du Lago Sarmiento, se trouve le Lago Nordenskjöld (pour une bonne prononciation, il faudrait avoir la bouche pleine de krisp… de krisprolls… enfin de petits pains suédois). D’une superficie de 28 km², ce lac n’a été découvert qu’au tout début du 20ème siècle par l’explorateur et géologue suédois Otto Nordenskjöld. On aperçoit enfin les fameuses Torres qui percent les nuages (sur la droite) ! Il semble que les nuages fatigués de voyager, s’estompent peu à peu ; le soleil perce à travers quelques brumes légères, timide pour ne pas agresser et il nous dévoile la magie du paysage… éphémère, cette percée est de courte durée ! On nous a prévenu que le climat de la Patagonie est particulièrement imprévisible et capricieux ; alternance de petites percées de soleil, de vents violents et de pluies torrentielles par moment… Bon, on les aura vu « en vrai » ailleurs que sur les billets de 1000 pesos chiliens ! Le Lago Nordenskjöld est entouré d’une végétation abondante et il n’est pas rare d’y croiser des guanacos qui commencent à s’habituer au passage des randonneurs… Avec ses eaux turquoises entourées par une végétation luxuriante et le superbe panorama sur les Cuernos del Paine, le Lago Pehoé (d’une une superficie de 22 km²) offre un des plus beaux paysages du parc quand le temps le permet étant donnée la forte pluviosité de la région. Très souvent, les cimes de ces cornes sont enveloppées par les brumes ou les nuages pour la plus grande déception des visiteurs… et photographes en herbe. Et nous voilà, au bord de la lagune, bouche bée d’abord à cause du froid mais aussi parce que l’endroit est incroyablement beau ! Le mot « Pehoé » signifie « caché » dans le langage des indiens Tehuelche, ce qui est vrai puisque ce lac est complètement entouré de montagnes et de collines qui le dissimulent au regard. En poursuivant notre chemin, nous rejoignons le lago Grey dont le nom semble venir de sa couleur grisâtre, due à sa composition chargée en sédiments. D’une superficie de 32 km², le Lac Grey est alimenté par l’immense Glacier Grey, le plus grand glacier du parc. Le lac et sa lagune sont balayés par des rafales de vents si violentes qu’il est parfois difficile de maintenir son équilibre; des gouttes d’eau sont arrachées au lac et viennent vous fouetter le visage !

Glacier Serrano

On embarque pour une navigation en zodiac sur le Rio Serrano jusqu’au Parc National Bernardo O’Higgins qui abrite deux magnifiques glaciers: les glaciers Balmaceda et Serrano. Le nom de ce parc vient de Bernardo O’Higgins Riquelme qui fut l’une des figures militaires fondamentales de l’indépendance et le premier chef d’État du Chili indépendant. La rivière Serrano prend sa source dans les eaux du lac Toro et poursuit sa course pour se jeter dans le fjiord Última Esperanza. On enfile nos vêtements chauds, gants et bonnets et nos gilets de sauvetage et la navigation peut commencer… jusqu’aux pieds des glaciers Balmaceda et Serrano. La météo n’est pas de la partie, il y a beaucoup de vent, il fait froid et les nuages gris s’accrochent aux sommets enneigés. Mais qu’importe, nous sommes bien emmitouflés pour résister à la météo capricieuse ! Le parcours permet de traverser des paysages très variés: des plaines alluviales ravinées par les crues, des cascades, des forêts qui semblent impénétrables depuis la rivière, de petites îles dénudées, des rapides tumultueux… Nous accostons pour approcher le glacier Serrano… Une courte randonnée à travers une forêt dense de coihues et ñirres, nous emmène jusqu’au pied du glacier Serrano noyé dans la brume. Le paysage semble austère: le glacier est encaissé entre des parois rocheuses, les couleurs bleues de la glace contrastent avec les roches sombres, accentuant l’âpreté du lieu. Des blocs de glace aux formes variées se détachent du glacier et tombent dans le lac Serrano puis partent ensuite à la dérive: l’art éphémère de la nature… Des aventuriers s’offrent une petite virée en zodiac au milieu des icebergs pour s’approcher au plus près de l’immense mur de glace: «Ohé, ohé, capitaine abandonné / Ohé, ohé, mets des ailes à ton voilier / Sonnez, sonnez, les sirènes au vent salé / Sonnez, sonnez la dernière traversée » (Capitaine abandonné – Gold).

Murtilla ou goyavier du Chili

Le chemin menant au glacier Serrano est tapissé d’arbustes en fleurs ou couverts de baies colorées: des Murtilla (goyavier du Chili) dont le fruit au goût de fraise des bois est utilisé pour la production de l’arôme de fraise, des baies de Frutilla del Diablo (fraisier du diable) non comestibles ou encore des Fuschia de Magellan. Un drôle d’insecte nous observe tranquillement caché dans cette végétation épaisse et drue. Beaucoup d’arbres du genre Nothofagus (arbres voisins des hêtres) sont touchés par le Cyttaria (Llao-llao ou Pan de Indio). Non, non ce n’est pas un fruit mais un champignon parasite comestible (Et non, je ne les ai pas goûtés). Ces champignons forment des tumeurs (nœuds) aux branches et aux troncs des arbres infectés. En réaction à ce parasite, l’arbre développe une forte excroissance très décorative, utilisée en artisanat. Ces tumeurs ont une forme arrondie et boursoufflée du même aspect que le bois et l’écorce et elles peuvent atteindre des circonférences impressionnantes (jusqu’à deux à trois mètres). Nous rejoignons le rivage pour terminer la navigation vers le fjiord Última Esperanza profitant encore un peu des paysages majestueux du fjord bordés d’estancia où paissent en liberté les chevaux au bord de l’eau… S’il n’y avait qu’une seule phrase pour résumer cette découverte de la Patagonie chilienne, je choisirais sans aucun doute celle-ci qui résume tout: « La splendeur des paysages est à la hauteur de l’inhospitalité légendaire des lieux ».

 

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