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« Y a dans le sud de la Louisiane / Et dans un coin du Canada / Des tas de gars, des tas de femmes / Qui chantent dans la même langue que toi. Tous les Acadiens, toutes les Acadiennes / Vont chanter, vont danser sur le violon / Sont Américains, elles sont Américaines / La faute à qui donc ? La faute à Napoléon … »  Voilà, c’est malin, maintenant j’ai la chanson de Michel Fugain (Les Acadiens) qui me trotte dans la tête ! De la musique à tous les coins de rue, une excellente cuisine cajun, des maisons aux couleurs chatoyantes et une indéniable nonchalance et joie de vivre: la Nouvelle Orléans ou « Nola » (le NO est pour la Nouvelle-Orléans et le LA pour Louisiana) risque de mettre tous vos sens en émoi ! Elle porte bien son surnom de « Big Easy ». Lovée dans une courbe du Mississippi, ce fleuve du sud des États-Unis, entre les bayous et le lac Pontchartrain, la Nouvelle Orléans a une forme de croissant (d’où son autre surnom de « Crescent City »). Elle est construite en dessous du niveau de la mer et du lac, protégée des inondations (en théorie) par des digues. C’est la plus grande ville de l’Etat de Louisiane, avec deux pôles économiques principaux: son port (un centre industriel et de distribution) et sa riche, ancienne et vibrante culture. Créée par Jean-Baptises Le Moine, Sieur de Bienville, en 1718, son nom lui fut donné en l’honneur du régent, le duc Philippe d’Orléans. Elle fut tour à tour française, espagnole (en 1763) puis à nouveau française (en 1800) avant de devenir définitivement américaine en 1803 (cédée par Napoléon Bonaparte)… Ce melting-pot de peuples et de cultures – les Espagnols, les Cajuns (ou Acadiens, immigrés du Canada français) et les Créoles des Caraïbes (surtout d’Haïti) –  ont façonné cette ville très colorée, vivante, bruyante et ensorcelante (sans même parler du vaudou) à la fois !

Le « Natchez » en virée nautique

Ce qui est appréciable (ou pas selon le point de vue) c’est que tout ou presque peut se faire à pieds. Comme la princesse Tania (mais sans la grenouille), pour me mettre en jambes, je flâne dans le Garden District, sorte de parc Disney grandeur nature que dessert le Saint Charles Streetcar, un charmant tramway rendu célèbre par la pièce de théâtre de Tennessee Williams « Un tramway nommé Désir » (1947)… enfin surtout par son adaptation cinématographique (1951) qui révéla un certain Marlon Brando au cinéma. Une ligne va du Jackson Square au parc Audubon et traverse tout le Garden District. Ce quartier possède de belles demeures à l’architecture Antebellum dont la Nolan House, qui a servi de décor au film « L’étrange histoire de Benjamin Button » (avec les « Brangelina » de la grande époque !). Une autre ligne, celle des Ladies in Red (dames en rouge) longe les berges du Mississipi. Ah, qu’il est agréable de flâner sur la promenade qui traverse le parc Woldenberg à proximité du Mississipi. De là, on peut admirer le « Natchez » actionner son immense roue à aube dans l’eau brunâtre pour emmener les touristes en virée nautique au son du jazz, sur ce fleuve mythique, siège des « Aventures de Hunckleberry Finn » de Mark Twain. Mais quittons nonchalement les rives du Mississipi pour rejoindre Jackson Square, le centre historique et touristique de la ville. Dans ce magnifique parc fleuri, se trouve la statue équestre d’Andrew Jackson qui lutta victorieusement contre les anglais en 1814. Des musiciens jouent leur morceau favori alors que les peintres, à leur chevalet, créent de nouvelles pièces d’art principalement pour les touristes. Autour du parc, l’ambiance est animée et décontractée: des jongleurs, des diseuses de bonne-aventure, des caricaturistes, sans oublier des portraitistes qui accrochent leurs œuvres aux grilles du parc. Au niveau de Jackson Square, on ne peut pas louper l’incontournable Cathédrale Saint-Louis ou basilique Saint-Louis-Roi-de-France. D’un blanc immaculé, avec ses lignes très sobres, elle se caractérise par ses trois clochers pointus qui domine le Vieux Carré ou Carré Français (French Quarter). Le pape Paul VI lui accorda en 1964 le statut de basilique mineure et le pape Jean-Paul II y célébra la messe lors de sa visite… A l’intérieur, la décoration plutôt sobre n’est pas sans rappeler certaines églises de France à quelques détails … Oui, vous ne rêvez pas, il y a bien des drapeaux suspendus le long de la nef ! Les décorations au plafond, et autres fresques murales sont très belles et les vitraux racontent la vie de Saint-Louis, roi de France, et sa participation aux Croisades. Situé à droite de la Cathédrale Saint-Louis, se trouve Le presbytère (1813) qui hébergeait à l’origine les évêques de Louisiane. Palais de justice jusqu’en 1911, c’est désormais un musée consacré à Mardi Gras et au Carnaval, une véritable institution à La Nouvelle-Orléans !

Jackson Square

Des petits groupes de musiciens et chanteurs font l’ambiance de l’endroit… des couples dansent au milieu de la rue, des gens déguisés se promènent, une fanfare défile ! Le French Quarter est l’endroit le plus festif de la Nouvelle-Orléans: musique et fête y sont constantes (jour et nuit) ! Il y règne comme un grain de folie, de la créativité et une certaine authenticité ! Ici, tout le monde écoute et joue plus ou moins toujours la même musique avec l’entêtant tempo du « Two-step » ou du « zydeco » ; ça swingue cajun (The band L’Angelus). Si vous souhaitez enrichir votre univers musical et partir à la découverte de nouveaux groupes dans les « Fais Dodo » (fêtes traditionnelles cajun), regardez autour de vous les nombreuses affiches ou lisez les annonces dans le « Times of Acadiana » (un hebdomadaire gratuit, qui publie la liste la plus complète des événements culturels). Vous n’aurez alors plus que l’embarras choix ! Comme on dirait en cajun, impossible de « rester debout comme un poteau fanal » (de manquer d’énergie). Entrainés par la bonne humeur ambiante, le chanteur d’un groupe demande aux passants de faire un concours de… « booty shake » ! Quand je comprends de quoi il s’agit, je préfère m’éclipser discrètement, tandis qu’une dame en mini-jupe tente désespérément de maîtriser cet art… en se pliant en deux alors que son popotin entre en transe… tandis qu’un « Grand Beedé has got the cabris » (expression cajun pour dire qu’un homme empoté a le slip coincé entre les fesses), le tout  déclenchant l’hilarité des badauds, of course… Votre sens de l’ouïe est maintenant, bien aiguisé ? Alors continuons notre visite afin de réveiller vos autres sens !

Le cœur historique

Commençons par le sens de la vue. Les maisons aux balcons en fer forgé avec leurs végétations luxuriantes font le charme du French Quarter. C’est ici que palpite le cœur historique de la Nouvelle-Orléans qui déploie sa séduction à la fois française, espagnole et créole. On se perd avec délectation dans des rues aux noms à consonance française comme Bourbon, Chartres, Orléans, Toulouse, Bienville ou Royal. On a l’impression de remonter le temps et de se plonger dans les racines culturelles de la ville et d’une certaine Amérique. Sur Chartres Street, découvrez la Beauregard-Keyes House, où vécurent deux personnages célèbres. Tout d’abord le Géneral Beauregard, intransigeant militaire qui fut un acteur incontournable dans le déclenchement de la Guerre civile entre le nord et le sud. Il y vécut de 1865 à 1869. Par la suite, la romancière Frances Parkinson Keyes que peu de francophones connaissent (c’est bien dommage !) racheta cette bâtisse en ruine dans les années 1940 et s’installa dans cette maison hantée par la mémoire de Beauregard de 1945 à 1970. La visite de cette demeure est un curieux et pénétrant voyage dans le temps, loin des visites tapageuses et attrapes touristes des maisons « hantées » (soi disant) du quartier. Un peu plus loin, la Royal Street regorge de bâtisses anciennes, transformées en galeries et magasins. En vrac, on peut citer la célèbre Gallier House, lieu de tournage du film « Entretien avec un vampire », Merieult House (Maison particulière la plus ancienne de Royal St.), LaBranche House (célèbre pour ses galeries en fer forgé ornées de feuilles de chêne), Seignouret House, Auguste Coudreau Mansion etc. Partout, de hautes maisons aux façades colorées sont agrémentées d’élégants balcons ciselés de dentelles en fer forgé qui débordent de fougères en pots et garnis de fleurs. Je m’attendrais presque à voir l’équipe de Dwayne Cassius Pride alias « King » (NCIS New Orleans) me faire un coucou du balcon… Hé salut Christopher et Brody, comment allez-vous ? Dans le dédale des rues adjacentes, très tranquilles, chaque maison ou presque a ses propres caractéristiques le fer forgé nimbe les façades roses ou blanches, d’incroyables dentelles. C’est sublime ! Consciente de l’intérêt patrimonial et touristique du quartier, la ville de La Nouvelle-Orléans l’a classé. Les demeures doivent y être entretenues et aucune nouvelle construction ne peut adopter une architecture contemporaine pour ne pas dénaturer le site…  Une autre rue au nom célèbre, Bourbon Street, présente quant à elle, un visage très différent selon que vous y déambulerez la journée ou la nuit. Cette rue très touristique devient dès la nuit tombée une longue enfilade de bars (vantant leurs cocktails exclusifs et « explosifs »: le « Hurricane », le « Hand grenade », le « Resurrection » etc.) et de clubs de strip-tease d’un goût douteux, avec des rabatteurs qui font tout pour vous séduire et pour vous emmener dans leur antre !

D’élégants balcons garnis de fleurs

Dans ce Carré Français, le French Market est le plus vieux marché des États-Unis, endroit où autrefois on nourrissait les gens qui arrivaient par bateau. Il couvre plusieurs centaines de mètres au rythme des boutiques et des stands en tous genres et hauts en couleurs. La boutique de vêtements de sports, près du Café du Monde, (connu pour ses beignets et son café au lait, à la terrasse bondée de touristes !) est l’une des rares où l’on peut acheter les produits officiels (tee-shirts…) de l’équipe de foot des Saints, avec leurs célèbres fleurs de Lys ! Autrefois, des marchands de toutes origines se côtoyaient sur le marché; même s’il s’est progressivement orienté vers le tourisme, on peut toujours y trouver fruits, légumes et épices… et de magnifiques masques de carnaval. Cet endroit aiguisera sans nul doute vos sens de l’odorat… et du goût ! C’est peut-être le bon moment de déguster un « gumbo » (soupe épaisse genre ragoût à base de légumes, crevettes, crabe ou parfois de poissons et épices) accompagné de « rice and beans » ou de goûter le fameux « jambalaya » (sorte de paëlla) ? Mais si vous optez pour celui-ci, il vous reste encore un choix cornélien à faire: un jambalaya cajun ou un jambalaya créole ? That’s the question ? Si les deux sortes sont bien entendu à base de riz, la version créole comprend des tomates, de la viande et du bouillon de poulet. La version cajun n’a ni tomate ni bouillon de poulet, mais du boeuf, du tabasco et piment. Allez, moi je vais commander des « Oysters Bienville » (huîtres cuisinées dans leurs coquilles, agrémentées d’une crème aromatisée de crevettes et champignons)… Et pour la note sucrée mais aussi pour le spectacle qu’elles procurent, je ne peux résister aux « Banana Fosters »: imaginez un serveur qui s’avance vers vous avec une poêle remplie de bananes coupées en rondelles dans une main, et qui enflamme la préparation avec du rhum et de la cannelle… un vrai spectacle pyrotechnique avant la dégustation ! Allez, j’en redemande avec la commande d’un « café brulôt » (café très fort avec citron orange et cannelle, puis flambé au brandy) ! « Il suffira d’une étincelle / Oui, d’un rien, oui, d’un geste / Il suffira d’une étincelle / Et d’un mot d’amour, oui pour / Allumer le feu, allumer le feu / Et voir grandir la flamme dans vos yeux » (Johnny Hallyday – Allumer le feu) ! Et si vous doutiez encore de l’Excellence de la cuisine, alors référez-vous au proverbe cajun qui dit « Une bonne cuisinière doit savoir tout accommoder, même le putois »… Je vous souhaite un bon appétit ! Si vous êtes plutôt du genre pause déjeuner sur le pouce, alors vous ne pourrez échapper au célèbre sandwich de la Nouvelle-Orléans : le « Po’Boy » (ou poor boy). Il est en vente partout, avec toutes sortes de garnitures, y compris des huîtres ! Le véritable po’boy de Louisiane doit respecter trois règles strictes :

  • Il se prépare avec une baguette de pain dite « française » et le pain doit être imbibé de sauce
  • La garniture en abondance déborde du sandwich, garnie à ras bord de crevettes, d’huîtres ou d’écrevisses (toutes frites dans l’huile bien sûr !) ou de rosbif… Si vous le demandez « dressed », on vous le servira assaisonné avec de la mayonnaise, des rondelles de tomate et des pickles. Là, c’est sûr, je le mangerai « en bout des dents » comme disent les cajuns !
  • Après en avoir mangé un Po’boy, il ne doit plus y avoir de place pour le dessert… le contraire serait vraiment étonnant !

Des « Oysters Bienville »

La Nouvelle Orléans est une ville unique et magique, surprenante par sa richesse culturelle et humaine. Berceau du Jazz, elle exerce un indéniable pouvoir de séduction pour les passionnés de jazz ou d’histoire. Elle a vu naître de grands musiciens tels que Louis Armstrong et Sidney Bechet. Elle est vivante, bruyante, possède un charme envoûtant et inaltéré, et il faudrait beaucoup de temps pour découvrir tous ses secrets. Elle a su préserver son héritage historique et sa joie de vivre malgré les terribles événements qui l’ont marquée, tels que la marée noire en 2010 ou l’ouragan Katrina qui a dévasté en 2005 une grande partie de ses quartiers populaires. Encore aujourd’hui il règne toujours, dans certains quartiers, une ambiance de désolation plus de 10 ans après l’ouragan Katrina. L’auteur de polars, James Lee Burke, dans son polar « Swan Peak » (2008) crie sa colère devant cette mauvaise gestion de la reconstruction après la tragédie de l’ouragan, au travers de son personnage Dave Robicheaux : « Ils ne reconstruiront pas la ville où j’ai grandi. Ils ne savent pas comment faire. Ils n’étaient pas là. A cette époque, chaque jour était une fête. Et je ne parle pas des fanfares ni des gens qui se soûlaient sur leurs balcons ». Il est vrai que la population s’est relevée péniblement, mais courageusement, de ce cataclysme. Si vous souhaitez vous plonger plus avant dans les difficultés rencontrées par les habitants, je vous conseille vivement un peu de « Binge Watching » en regardant les 36 épisodes (4 saisons) de la série de HBO « Treme ». La série reprend le nom d’un quartier de la ville de La Nouvelle-Orléans, le Tremé, et se déroule trois mois après le passage de l’ouragan Katrina alors que les résidents de la ville, essayent de reconstruire leur vie, leur maison et leur culture unique… La série analyse les difficultés rencontrées par les habitants, comme le chaos qui règne dans le système éducatif, judiciaire et pénitentiaire du fait de l’inondation de près de 80 % de la ville. Elle aborde aussi la lenteur des assurances à dédommager leurs clients, tout comme le problème des relogements… On pourrait conclure en cajun que les assurances et promoteurs ont « mis de la boucane (fumée) en sac » (ont eu des projets grandioses et impossibles) mais que comme d’habitude « ils détellent la charrue au milieu du marais » (ils ne finissent jamais rien)…

Quant à moi, « ben, faut je m’en va » (I have to go), et « soignez vous-autres » (Y’all take care) !

 

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